Cottereau (Jean) - Tome I
Cottereau (Jean), dit Jean Chouan, simple paysan et faux-saunier, qui ayant reçu les inspirations du marquis de la Rouairie, fut le premier à les propager et a donné son nom aux insurgés royalistes du Maine, de la Bretagne, de la Normandie et d'une partie de l'Anjou. Pierre Cottereau, son père, qui lui-même, d'après la déclaration de son fils François, avait pris le surnom de Chouan comme nom de guerre, était bûcheron et sabotier, assez lettré pour signer proprement son nom. Il se transportait de forêt en forêt travaillant sur place de son double métier. L'aîné de ses fils naît en 1756 à Brains. Jean, né le 30 octobre 1757 est baptisé le lendemain à Saint-Berthevin-lès-Laval. Deux autres garçons vinrent au monde on ne sait où, en 1762 et 1764. Deux filles enfin complètent la famille après qu'elle est venue, vers 1772, se fixer aux Poiriers de Saint-Ouen-des-Toits dans une pauvre closerie de quelques journaux de mauvaises terres.
Jean Cottereau, dit Chouan comme son père et ses frères, était un peu couvreur, mais surtout faux-saunier. La famille eut des querelles avec les voisins : en 1775, avec les Besnier, qui les avaient dénoncés aux gabeleurs ; en 1779 avec les Fouchard, pour un motif futile qui en cachait peut-être un autre plus sérieux. Jean, qui, à la dernière date, avait perdu son père, prit une part active à ces rixes en attendant qu'il en eût de personnelles. Le 23 mars 1780, il était à boire au bourg de Saint-Ouen avec Jean Croissant, son compagnon de contrebande, quand il aperçut Joseph Marchais, marchand tissier à Saint-Germain-le-Fouilloux, qu'il soupçonnait encore de l'avoir « vendu aux gabeloux ». La lutte s'engage et le malheureux tisserand, bien vite terrassé, est frappé « à coups de pieds et de pinte ». Le vendredi 8 décembre de la même année, Olivier Jagu, garde de gabelle au poste de la Piochère, fut maltraité dans une auberge de Saint-Germain-le-Fouilloux par deux faux-sauniers ; il en mourut le 30 décembre. Jean Chouan et Jean Croissant furent accusés du meurtre. Le dernier, arrêté le 6 avril, nia toujours, en appela au parlement de la sentence qui le condamnait à mort, mais vit son pourvoi rejeté et fut exécuté à Laval le 26 juillet 1781. Jean Chouan resta introuvable. C'est le 18 mai 1785 seulement que les gabeleurs le saisirent au lieu des Mesliers, dans la paroisse du Bourgneuf-la-Forêt. Qu'était-il devenu pendant quatre ans. Évidemment il n'était pas resté dans le pays. Il y a toute apparence, si l'on rapproche les souvenirs de la famille recueillis par M. Duchemin-Descepeaux, de cette absence prolongée, que le contrebandier s'était enrôlé dans quelque garnison lointaine. Qu'on ne retrouve à Lille ou ailleurs ni son nom de famille ni son nom de guerre sur les rôles, le fait est trop naturel pour qu'on s'en étonne.
Emprisonné à Laval en 1785, Jean Cottereau parut devant le juge criminel, nia comme avait nié Jean Croissant, mais, plus heureux que lui, ne fut pas chargé par les témoins. Le procureur Enjubault-Laroche ne put donc que requérir, le 9 septembre 1785, un plus ample informé qui fit maintenir le prévenu un an en prison.
Libre le 9 septembre 1786, le faux-saunier était corrigé ; il entre comme domestique et homme de confiance chez une dame Olivier, dont la bonne réputation le sauve lui-même de tout nouveau soupçon. La Révolution éclate, les prêtres fidèles sont arrachés à leurs paroisses. Le roi est emprisonné. Les mécontentements se manifestent. Jean Chouan dans le milieu religieux où il vivait ne pouvait y rester étranger. Le marquis de la Rouairie organisait en Bretagne la conjuration qui ne fut pas étouffée comme on le dit, car elle a donné directement naissance à la Chouannerie. Les Tuffin de la Rouairie étaient alliés avec la famille de Farcy, dont les deux frères habitaient, l'un le château de Mué, en Parcé, l'autre, le château de Villiers, en Launay-Villiers. M. de Mué avait encouragé un royaliste sûr de sa paroisse de Parcé, Jean-Louis Gavard, à prendre les fonctions de maire. Il le mit plus tard en rapport avec le célèbre conspirateur, qui le chargea spécialement d'organiser la coalition sur la lisière de la Bretagne. Aucune mission ne fut mieux remplie. Quand le marquis vint chez son cousin de Farcy, à Villiers, où il passa trois mois, mai, juin, juillet 1792, il trouva dans les cantons limitrophes de la Bretagne les esprits préparés pour l'action. Le moment choisi fut celui du tirage au sort, qui devait avoir lieu le 15 août. Le mot d'ordre était : qu'on nous rende nos prêtres ; nous ne partirons point pour faire la guerre au roi et à la religion ; que les acquéreurs de biens nationaux aillent défendre le gouvernement. De Landivy à la Roë ce fut le concert unanime des protestations populaires, le 15 août 1792.
Jean Chouan, qui n'était point conscrit puisqu'il avait plus de trente-cinq ans, n'en prit pas moins la direction du mouvement à Saint-Ouen-des-Toits, et nulle part la résistance ne fut plus énergique. C'est que, formé déjà depuis longtemps par Gavard, mis en relation par lui avec la Rouairie, plus directement aussi sous leur influence immédiate, il était mieux préparé aux événements. On ne bougea pas depuis jusqu'à la fin de septembre. Mais le mercredi 26, les patriotes d'Andouillé et de la Baconnière étant allés piller le château de Villiers, ce fut le signal. Jean Chouan déjà reconnu pour chef, et tous les chefs de paroisses du canton vinrent assaillir les Bleus rentrés le soir au Bourgneuf ; et, comme le lendemain la force armée de Laval venait pour réprimer l'insurrection, elle fut reçue à l'étang de la Chaîne par une fusillade dont Jean avait donné le signal. Mais, lui-même prenait les ordres d'un étranger qui n'était autre que Gavard, connu seulement de quelques-uns des chefs.
Depuis ce temps les insurgés sont des Chouans ; leurs combats avec les escortes, avec les postes républicains, avec les gardes nationaux d'Andouillé, de la Baconnière, avec les forgerons du Port-Brillet, se renouvellent par intervalles. Entre temps Jean Chouan va en Bretagne pour rencontrer la Rouairie ou établir la correspondance avec les émigrés et s'abouche avec les autres chefs reconnus.
L'administration départementale elle-même le reconnaît avec son frère pour le chef de la coalition. « Il y a à leur tête, écrit le procureur syndic au directoire d'Ernée, le 28 avril 1793, deux hommes qui se nomment Cottereau, dits Chouan. Nous avons promis une récompense à qui les arrêtera, mais il faut y aller avec précaution, car ces deux individus sont très braves et très déterminés. Si de votre côté vous pouviez vous en saisir, ce serait rendre à la chose publique un vrai service ».
Le 20 octobre, celui qui jetait ainsi l'épouvante jusqu'à Laval apprend du prêtre qui dit la messe au Genest que les Vendéens ont passé la Loire, et le 23, en conférence avec Puisaye et Boisguy dans la forêt du Pertre, il entend le canon qui tonne à Laval. Sans prendre désormais aucune précaution, il réunit ses hommes et marche sur la ville. Son intervention contribue efficacement à la victoire de la Croix-Bataille. Mais ses hommes, heureux de s'associer aux Vendéens, veulent toutefois faire un corps à part et ne reconnaissent que lui pour les conduire. Comme lui du reste, ils donnent partout des preuves de leur indomptable courage. Les désastres, les plus cruelles épreuves n'abattent point l'intrépide Chouan. Sa mère qui meurt écrasée au Mans, sa troupe affreusement décimée, toutes les souffrances ne peuvent rien sur cet homme dont l'énergie naturelle est retrempée dans la foi.
Il rentre au bois de Misdon ; tente, pour sauver le prince de Talmont sur le chemin de Vitré à Laval, un coup de main qui avorte parce que personne n'a su lire la dépêche dans laquelle on l'avertit que l'itinéraire de l'escorte a été changé. La recrudescence des boucheries révolutionnaires multiplie d'ailleurs ses partisans. Il s'unit avec Jambe-d'Argent et Moulins pour attaquer les postes qui cernaient le bois de Misdon, et on commence par celui de Saint-Ouen qui est enlevé vers le 20 avril 1794. Les républicains s'en vengèrent en envoyant les deux sœurs Cottereau à la guillotine. D'autres épreuves aussi cruelles atteignent Jean Chouan et lui donnent de funestes pressentiments. Le 27 juillet, il est à Saint-Ouen avec une quinzaine d'hommes ; sa petite troupe, qui se rafraîchit dans un verger près de la maison de la Babinière, est surprise par les républicains de la forge du Port-Brillet. Tous se débandent ; Jean après avoir déchargé sa carabine sur un des assaillants rejoint sa troupe. Il avait franchi la haie qui le mettait à l'abri quand il entend l'appel de sa belle-sœur, la femme de René, que sa grossesse empêche de fuir. Il revient à elle, l'aide à passer dans les broussailles, et pour lui donner le temps de gagner la forêt, se poste en évidence sur un petit tertre près d'une fontaine rechargeant sa carabine. Il devient aussitôt le point de mire de toute la fusillade et avant d'avoir tiré lui-même est atteint d'une balle qui brise sa tabatière à sa ceinture et lui en enfonce les éclats dans les entrailles. Il peut encore gagner la châtaigneraie voisine, puis le bois de Misdon. Les siens s'étaient aperçus de son absence. Son frère René, qui n'était pas là au moment de l'attaque mais qui avait rejoint la troupe, court à sa recherche, le trouve et quand les camarades arrivent comme il ne peut se tenir à cheval, on le porte sur un drap dans un épais fourré à la Place royale, où on lui fait un lit avec les vêtements dont chacun se dépouille, pendant que René le soutient entre ses jambes et ses bras.
Le blessé reprit alors ses sens, parla longuement à ses compagnons, les encouragea à continuer la lutte qu'ils avaient soutenue ensemble pour Dieu et le roi, et désigna Delière, capitaine du Bourgneuf, ancien militaire, comme le plus capable de les conduire. Toute la nuit se passa ainsi. Au point du jour, incapable de parler, il se mit à prier tout bas pendant plus de deux heures. Puis après une longue et cruelle agonie il expira, toujours entre les bras de son frère. On l'enterra profondément, en prenant toutes les précautions pour que sa sépulture ne fût pas violée par les républicains. Le dernier survivant, Jean Gahéry, n'a jamais voulu plus tard révéler l'endroit parce que tous les témoins s'étaient engagés par serment à en garder le secret. Le pauvre « gars mentoux », qui ne croyait pas au danger, a pour tombe le bois de Misdon qui fut le berceau de la Chouannerie.
François C., l'un des frères Chouan, dit le Grand Chevau, né vers 1762, sous-lieutenant de la garde nationale de Saint-Ouen en 1790, fut aussi en relation avec Gavard et la Rouairie. Avant de se donner à la mission d'enrôlement qu'on lui suggérait, il consulta l'abbé Olivier, fils de la dame chez laquelle servait son frère. Le prêtre lui fit observer à quels dangers il s'exposait. Pour le jeune homme le danger n'était rien, il voulait savoir seulement s'il s'agissait de défendre la religion et le roi, et se croyant suffisamment rassuré dans sa conscience par les réponses qu'on lui fit, il devint dès lors l'agent le plus actif de la coalition. Au mois de juillet 1793 il eut le bras brisé par une balle de son fusil, sur lequel il s'appuyait imprudemment. On perquisitionna au village de Saint-Roch où il se faisait soigner, mais sans le saisir. Non guéri encore au passage des Vendéens, il voulut faire quand même la campagne. Au Mans épuisé de fatigues, affaibli par la dysenterie, il ne voulut pas se servir d'un cheval que son frère lui offrait pour s'enfuir. Il rentra pourtant aux Poiriers à bout de forces, fut obligé à cause des perquisitions incessantes de se cacher dans les retraites humides du bois de Misdon, et y mourut faute de soins. Ses camarades disaient qu'il « était toujours le premier à bien dire et à bien faire ».
Pierre C., l'aîné des quatre frères, dit Pierre-qui-mouche, né à Brains en 1756, était sabotier comme son père. D'un caractère tranquille et d'une grande piété, il ne prit point part aux premiers incidents de la Chouannerie, fut emprisonné à Laval au commencement de 1794, s'évada et vint soigner son frère François, après la mort duquel il se décida à prendre les armes. Bientôt il se joignit à la division de Jambe-d'Argent et se laissa surprendre en sentinelle, à Cosmes, absorbé dans la récitation de son chapelet. Il fut exécuté le 11 juin 1794.
René C., le plus jeune des quatre frères, né en 1764, surnommé Faraud, cultivait la closerie des Poiriers et était marié en 1792 avec Jeanne Bridier. Arrêté avec sa femme et sa sœur aînée en 1793, puis relâché le 1er juin 1793, il fut emmené de nouveau en prison à Laval avec son frère Pierre en 1794. Quand il rentra, il trouva sa maison pillée, et se décida à prendre les armes avec des idées de vengeance que la mort de ses deux frères et le supplice de ses deux sœurs exaspérèrent encore. Jean Chouan menaça un jour de le fusiller parce qu'il avait tiré sur une femme soupçonnée d'espionnage. Il a survécu à tous les combats et à tous les dangers et n'est mort à la closerie des Poiriers qu'en 1846 âgé de quatre-vingt-trois ans. Il s'était remarié en 1806 avec Renée Rivière et eut quatorze enfants, le dernier né en 1824. Il a été un des témoins que M. Duchemin Descepeaux a le plus consciencieusement interrogé, et l'on ne pouvait négliger un si précieux témoignage. M. de Bailly vint le premier à son aide en rentrant de l'émigration. Une maigre pension de 400 ₶ lui fut servie par la Restauration. Il fut présenté à la Dauphine lors de son passage à Laval, en 1827. Son portrait a été dessiné et publié dans l'édition de 1833 des Lettres sur la Chouannerie.
Perrine et Renée C., nées, la première en 1776, la seconde en 1778 à la closerie des Poiriers, y restèrent avec leur frère René et leur belle-sœur, gagnant leur vie à filer. Au lendemain du jour où Jean Chouan battit le poste de Saint-Ouen et fit un bucher de tout le butin dont il s'était emparé, les républicains se saisirent des deux jeunes filles, et les emmenèrent à Ernée et de là à Laval par Mayenne, pendant que les Chouans attendaient l'escorte sur une autre route. Des dénonciations absurdes d'un « bon citoyen » qui prétendit les avoir vues un sabre à la main, dans le bourg de Saint-Ouen ; l'accusation qui ne fut même pas prouvée, d'avoir porté des vivres aux rebelles, furent tout ce qu'on invoqua pour conduire à l'échafaud, à Laval, une jeune fille de dix-huit ans et sa sœur qui n'en avait que seize à peine. Elles moururent le 25 avril 1794.
Au sujet de la descendance de la famille Cottereau, M. de la Sicotière a fait justice de la mystification dont Victor Hugo avait été victime de la part d'un prétendu petit-fils de Jean Chouan, qui se titrait Chouan de Cottereau et qui ne pouvait même pas se réclamer d'une parenté quelconque avec la descendance de René Cottereau, le seul des quatre frères qui se fût marié.
Journal de Fougères, art. de M. le vicomte Le Bouteiller qui a bien voulu les compléter pour moi par des extraits des mémoires de M. de Vaujuas de Langan, son beau-père. — Duchemin et Triger, Les premiers troubles de la Révolution dans la Mayenne. — Duchemin-Descepeaux, Lettres sur la Chouannerie. — Arch. de la M., L. 108.